L’essor fulgurant des réseaux sociaux a propulsé les influenceurs au rang d’acteurs incontournables du marketing digital. Leur capacité à toucher des millions d’abonnés séduit les marques, mais soulève aussi des questions éthiques et juridiques. Face aux dérives constatées, les autorités ont dû réagir pour protéger les consommateurs. Quelles sont les règles qui encadrent désormais les collaborations entre influenceurs et annonceurs ? Comment s’assurer de leur respect ? Plongeons au cœur de cette réglementation en pleine évolution.
Le cadre juridique actuel des partenariats rémunérés
La réglementation des activités des influenceurs s’inscrit dans un cadre légal plus large visant à encadrer la publicité et protéger les consommateurs. En France, plusieurs textes de loi s’appliquent :
- Le Code de la consommation, qui interdit les pratiques commerciales trompeuses
- La loi Sapin de 1993 sur la transparence en matière de publicité
- La loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004
Ces textes imposent notamment l’identification claire du caractère publicitaire d’un contenu. Concrètement, un influenceur doit signaler de façon explicite lorsqu’il s’agit d’un partenariat rémunéré, par exemple avec les mentions « sponsorisé par » ou « en partenariat avec ».
L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) a également édicté des recommandations spécifiques aux influenceurs en 2017, puis renforcées en 2021. Elles précisent les bonnes pratiques à adopter en matière de transparence, loyauté et protection des mineurs.
Malgré ce cadre, de nombreuses infractions ont été constatées ces dernières années. Face à ce constat, les pouvoirs publics ont décidé de durcir la réglementation.
Les nouvelles obligations issues de la loi de 2023
En juin 2023, une loi visant à encadrer l’influence commerciale et lutter contre les dérives des influenceurs a été adoptée. Ce texte instaure de nouvelles obligations pour les créateurs de contenus :
- Obligation de déclarer son activité auprès de l’ARPP
- Interdiction de promouvoir certains produits (médicaments, placements financiers risqués, etc.)
- Encadrement strict de la promotion des actes médicaux esthétiques
- Renforcement des sanctions en cas d’infraction
La loi crée également un statut juridique spécifique pour les influenceurs. Elle les définit comme des personnes physiques ou morales qui, contre rémunération, partagent des contenus visant à promouvoir des biens ou services dont elles ne sont pas productrices.
Ce nouveau cadre vise à responsabiliser davantage les influenceurs et à mieux protéger leur communauté. Il s’accompagne de sanctions renforcées pouvant aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende pour les infractions les plus graves.
Le rôle clé des plateformes dans l’application de la réglementation
Si les influenceurs sont en première ligne, les plateformes de réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans l’application effective de la réglementation. Elles sont désormais tenues de :
- Mettre en place des outils permettant d’identifier clairement les contenus sponsorisés
- Informer leurs utilisateurs sur les obligations légales liées à l’influence commerciale
- Collaborer avec les autorités en cas d’infractions constatées
Instagram, TikTok ou encore YouTube ont ainsi développé des fonctionnalités spécifiques pour signaler les partenariats. Elles permettent d’ajouter automatiquement des mentions comme « Partenariat rémunéré avec [nom de la marque] ».
Les plateformes ont également renforcé leurs conditions d’utilisation. Meta (Facebook, Instagram) impose par exemple à ses créateurs de contenus de respecter sa politique en matière de contenus de marque. Celle-ci reprend les principales obligations légales.
Malgré ces efforts, des zones grises subsistent, notamment concernant les micro-influenceurs ou les collaborations indirectes (cadeaux, invitations). Les autorités appellent à une vigilance accrue des plateformes sur ces aspects.
Les défis de contrôle et de sanction
L’application effective de la réglementation pose de nombreux défis aux autorités de contrôle. La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) est en première ligne pour surveiller les pratiques des influenceurs.
Ses agents effectuent une veille constante sur les réseaux sociaux pour détecter d’éventuelles infractions. Ils peuvent également agir sur signalement de consommateurs ou d’associations. En cas de non-respect avéré de la réglementation, la DGCCRF peut :
- Adresser un avertissement à l’influenceur
- Lui imposer de modifier ou supprimer le contenu litigieux
- Infliger une amende administrative
- Saisir la justice pour les cas les plus graves
La multiplication des contenus et la rapidité de leur diffusion compliquent toutefois la tâche des autorités. Pour y faire face, la DGCCRF a mis en place une cellule spécialisée dans la surveillance des influenceurs. Elle s’appuie également sur des outils d’intelligence artificielle pour détecter automatiquement les publications suspectes.
L’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) intervient quant à elle spécifiquement sur la promotion des jeux d’argent par les influenceurs. Elle a notamment le pouvoir de bloquer l’accès aux sites de paris illégaux promus sur les réseaux sociaux.
La coopération internationale, un enjeu majeur
La nature transfrontalière d’internet pose la question de l’application extraterritoriale de la réglementation française. Comment sanctionner un influenceur basé à l’étranger mais touchant un public français ?
Pour y répondre, les autorités misent sur la coopération internationale. La France participe ainsi activement aux travaux de l’OCDE sur l’encadrement de l’économie numérique. Des accords bilatéraux ont également été conclus avec certains pays pour faciliter les échanges d’informations entre régulateurs.
Vers une autorégulation du secteur ?
Face à la complexité du contrôle par les autorités, l’idée d’une autorégulation du secteur fait son chemin. Plusieurs initiatives ont vu le jour ces dernières années :
- La création de l’Union des Métiers de l’Influence et des Créateurs de Contenus (UMICC), qui fédère les agences et influenceurs
- L’élaboration d’une charte d’engagement éthique par le Syndicat National de la Publicité Télévisée (SNPTV)
- Le lancement du label « Influence Responsable » par l’ARPP
Ces démarches visent à promouvoir les bonnes pratiques et à responsabiliser l’ensemble des acteurs de l’écosystème : influenceurs, agences, marques et plateformes.
L’autorégulation présente l’avantage d’une plus grande souplesse et d’une meilleure adaptation aux évolutions rapides du secteur. Elle ne peut toutefois se substituer totalement au contrôle des autorités publiques, garant de l’intérêt général.
La formation, clé de voûte de la professionnalisation
La professionnalisation du métier d’influenceur passe également par la formation. Des cursus spécialisés commencent à voir le jour dans les écoles de commerce et de communication. Ils abordent notamment les aspects juridiques et éthiques de l’activité.
Parallèlement, des organismes comme l’ARPP proposent des modules de formation continue aux influenceurs et aux agences. Ces initiatives contribuent à diffuser les bonnes pratiques et à faire évoluer les mentalités au sein du secteur.
Perspectives : vers un encadrement européen ?
Si la France fait figure de pionnière en matière de réglementation des influenceurs, d’autres pays européens lui emboîtent le pas. L’Italie a ainsi adopté en 2023 une loi similaire à celle votée en France.
Cette convergence pose la question d’un encadrement à l’échelle européenne. La Commission européenne s’est saisie du sujet et travaille actuellement sur une directive spécifique aux influenceurs. Celle-ci pourrait notamment :
- Harmoniser les règles de transparence sur les partenariats rémunérés
- Créer un statut juridique commun pour les influenceurs
- Renforcer la protection des mineurs face au marketing d’influence
Un tel cadre européen permettrait de lutter plus efficacement contre les dérives tout en préservant le dynamisme du secteur. Il faciliterait également le travail des marques souhaitant mener des campagnes paneuropéennes avec des influenceurs.
En attendant, les autorités françaises poursuivent leurs efforts pour faire respecter la réglementation existante. La DGCCRF a ainsi annoncé un renforcement de ses contrôles pour 2024, avec un focus particulier sur les secteurs à risque comme la cosmétique ou les compléments alimentaires.
L’encadrement des activités des influenceurs dans les campagnes publicitaires est un chantier en constante évolution. Entre durcissement de la réglementation et autorégulation du secteur, l’équilibre reste à trouver pour concilier protection des consommateurs et développement de cette nouvelle forme de marketing. Une chose est sûre : la transparence et l’éthique seront au cœur des enjeux dans les années à venir.